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Pierre Vergès répond à Cyrille Hamilcaro sur l'autonomie


Édito
Vendredi 29 Mars 2013

Lundi 25 mars 2013, le conseiller général Cyrille Hamilcaro a fait paraître une tribune libre intitulée « Lettre ouverte aux néo-autonomistes ». Cette tribune est une contribution au débat sur la nécessité ou non d’une évolution institutionnelle de notre Île.


Pierre Vergès répond à Cyrille Hamilcaro sur l'autonomie
Je me permets d’en reprendre des extraits, mis en italiques, afin d’y apporter mes commentaires.
 
Une argumentation « étriquée » ?  

Cyrille Hamilcaro : « (…) Une argumentation certes séduisante mais étriqué, il y aurait nécessité de faire en sorte que La Réunion ait une évolution institutionnelle pour résoudre ses problèmes économiques et sociaux. »

Etonnant de voir  mon collègue Cyrille Hamilcaro trouver « étriquée » l’analyse selon laquelle l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution constitue un frein aux initiatives locales pour une politique adaptée à notre île !

Il aurait pu dire « inutile » « iconoclaste », ce qui reposerait sur des bases d’analyse politique, mais le mot « étriquée » ne veut rien dire ici.

La Réunion doit elle avoir «  une évolution institutionnelle pour résoudre ses problèmes économiques et sociaux ? ».  Oui, c’est une étape obligée.
 
Oui, la loi de mars 46 est « obsolète »  
Cyrille Hamilcaro : « Selon eux, le passage de colonie à Département le 19 mars 1946, (…) cette logique est aujourd’hui obsolète. »

Oui, la loi de mars 1946 est bien « obsolète » aujourd’hui.

Il serait totalement et politiquement faux de dire qu’elle n’a rien apporté.

Mais ce qu’elle apporte encore aujourd’hui ne permet plus de faire face aux réalités.

Pas plus que cela ne permet de dessiner des perspectives.
 
Attention au « procès d’intention »  
Cyrille Hamilcaro : « Sauf pour les communistes qui sont dans leur vrai, car ils étaient eux (et ils le restent!) dans une logique de développement “séparée” et non “différenciée”. »

C’est un procès d’intention, et cela ne veut rien dire, à moins de faire une allusion au développement séparé que nous retrouvons dans les régimes communautaristes, tel celui de l’apartheid.

Procès d’intention surtout quand l’histoire reconnaît que les communistes ont joué un rôle important à La Réunion dans la lutte contre le régime honni de l’apartheid d’une part, et dans l’application de l’égalité sociale en matière de prestations sociales et familiales d’autre part.
 
Par contre, il est vrai que nous avons avec constance plaidé pour que Paris constate une évidence : le contexte réunionnais, et notamment l’environnement géographique de notre île, nous invite à construire un modèle réunionnais « différencié ».
 
Un manque cruel : le projet  
Ceci dit, a-t-on utilisé toutes les ressources juridiques qui nous sont offertes ? Non.

A commencer par le droit à l’expérimentation.

Bien peu d’élus se sont saisis de cette opportunité, dans les collectivités de France métropolitaine.

Pourquoi ne pas avoir utilisé cette possibilité ?

Serait-il inexact de dire que pour l’instant, on ne voit que des « mesurettes », des idées plus ou plus intéressantes, plus ou moins valables, mais qui ne reposent en fait sur aucune perspective globale ?
 
Supprimer ou garder l’article 73 n’est qu’un aspect du problème  
Car ce qui manque cruellement, c’est un projet.

Bien sûr, le constat des différentes carences est plus ou moins partagé.

Le catalogue de propositions, on l’a.

Mais de projet, il n’en est pas question.

Dire qu’il faut supprimer, ou dire qu’il faut garder l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution, sans faire référence à un projet, c’est tout de même prendre le problème par le petit bout de la lorgnette.
 
Une absence d’analyse politique  
Le discours de mon collègue Cyrille Hamilcaro sur l’alinéa 5 de l’article 73 n’est que la reprise des différents documents juridiques (des articles L.O. 4435-9 à L.O. 4435-12, de l’article 73 de la Constitution).
 
Il n’y a pas d’analyse politique.
En revanche, l’exemple pris (le département de La Réunion fixant les conditions d’attribution du RSA) est très révélateur d’un état d’esprit.
 
L’arme de la peur à nouveau brandi  
Cyrille Hamilcaro : « (…) Si nous partons de ce que prévoit la Constitution, le Conseil Général pourrait décider seul, par exemple, de fixer des conditions plus restrictives à l’attribution du RSA, ainsi que moduler son montant, sans passer par la représentation nationale.

Il en serait de même en matière, pour la Région et le Département, de création des impôts et taxes !

Sont-ce véritablement cela que les Réunionnais veulent ? »

Comme toujours avec certains, il s’agit de brandir l’arme de la peur.

Mettre en lien la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 et la baisse du RSA, c’est déployer une grossière manœuvre de manipulation !

Quant à l’idée d’une fiscalité propre pour La Réunion, pourquoi pas ?

Certains foyers ne paient pas d’impôt sur le revenu, en touchant pourtant deux retraites de fonctionnaires ! Et des retraites majorées !
 
Pas un changement de couleur mais la responsabilité du choix des matériaux  
Cyrille Hamilcaro : « (…) Ce n’est pas en changeant la couleur du toit d’une maison que l’on change la vie de ses occupants. »

Belle formule imagée, mais se situe-t-on à ce niveau si le pouvoir nous est donné d’envisager de mettre une taxe supplémentaire sur tous ces gros foyers ?

Une taxe dont le produit pourrait par exemple être reversé aux… allocataires du RSA, en contrepartie d’une incitation réelle vers l’insertion et le travail durable !

Il ne s’agit donc pas de repeindre sur des parois affectées, mais de revoir nous-mêmes les matériaux utilisés avant de repeindre
 
Pourquoi pas lutter « localement » contre l’excès de réglementation  
Cyrille Hamilcaro : « (…) On se doit de changer quelques règles bloquants mais lutter contre l’excès de réglementation ne signifie pas s’octroyer la capacité à légiférer. »

Le fait de mettre en opposition «  l’excès de réglementation » d’un côté et « la capacité à légiférer» de l’autre, n’apporte pas grand chose.

L’excès de réglementation, toutes les collectivités en souffrent.

Toutes les collectivités en souffrent, y compris financièrement.

Et justement, pourquoi ne pourraient-elles pas, à La Réunion, compte tenu justement des spécificités, en amender, voire en supprimer certaines, qui les pénalisent bien plus que les collectivités de France continentale ?
 
La position du sénateur UMP Eric Doligé  
Je ne ferais pas insulte à Cyrille Hamilcaro en reprenant ce que le sénateur UMP du département du Loiret, Eric Doligé, préconisait en ce qui concerne l’inflation normative.

En substance, le sénateur recommandait en premier lieu une évolution de la méthode d’élaboration des normes applicables aux collectivités locales (définition d’un programme de réduction annuel des normes, meilleure prise en compte de la taille et des moyens des différentes collectivités, en appelant à une adaptation du droit aux réalités locales).

Notamment outre-mer !

Mais l’adaptation ne veut évidemment pas dire faire n’importe quoi !
 
L’exception remplaçant la règle, le droit commun devient l ‘exception  
Cyrille Hamilcaro : « Prenons un exemple : l’incapacité d’un fils d’agriculteur, expérimenté par la pratique, de prendre la succession de ses parents car non diplômé.

Par blocage de la réglementation, il ne pourra pas exercer son métier, qu’il maîtrise, car il n’a pas les diplômes nécessaires ; et alors qu’il ne demande pas un sou à personne pour reprendre l’exploitation.

Il en sera de même pour le coiffeur, le boulanger, le taxiteur ou le fleuriste… »

C’est bien parce que le droit commun est la règle que les particularismes réunionnais ne peuvent pas être pris en compte… systématiquement pour que l’exception devienne… la règle.
 
Intégration sans assimilation, voire assimilation sans intégration : « vaste programme »  
Cyrille Hamilcaro : « Je suis pour un principe politique simple : modèles institutionnel et social uniques, modèles économiques et sociétales différenciées. »

Si mon collègue conseiller général veut dans le même temps des « modèles institutionnel et social uniques, modèles économiques et sociétales différenciées », il a raison, il va falloir une sacré imagination !
 
Des propositions ? Mais pour quel projet global ?  
Cyrille Hamilcaro : « Il y a trois orientations qui, aujourd’hui, peuvent l’objet d’une large majorité, si ce n’est d’une unanimité : le découpage des communes, la mise en cohérence des compétences dans une région monodépartementale et la gestion des emplois aidés. »
« (…) Ces communes supplémentaires ne coûteraient rien de plus à l’Etat, et ne déséquilibreraient pas le schéma de coopération intercommunale en les obligeant à rester dans les EPCI actuels. »

Un redécoupage communal, un redécoupage cantonal, pourquoi pas, cela peut là aussi se discuter.

On peut faire des projections sur ce que cela pourrait être.

Mais la question est là encore simple : redécouper, remodeler, mais quoi ?

Et surtout pour quoi ? Dans quel objectif ?

Pour la réalisation de quel projet ?

Le redécoupage ? Oui, mais pourquoi obligatoirement se figer sur ce qui existe déjà ?

Pourquoi ne pas envisager, s’il est vraiment nécessaire de redécouper, de se placer sur le plan de l’économie.

Pourquoi ainsi ne pas tenir plutôt compte de ce que l’on appelle « les bassins d’emplois » par exemple.

Et ne faudrait-il pas faire attention quand on mentionne « d’obliger » les nouvelles communes « à  rester dans les EPCI actuels ».

La solidarité entre communes ou collectivités ne se « décrète » pas, elle se « secrète », se construit pas à pas, avec détermination, mais patience et respect mutuel.
 
Clarification des compétences ? Et la mutualisation ?  
Cyrille Hamilcaro : « La clarification des compétences. Il est clair que le Conseil Régional et le Conseil Général se doivent de sortir de ce statu quo qui freinent les actions par absence de visibilité claire, et par un trop plein de financements croisés. Cela peut se faire sans toucher aux prérogatives des communes ou des EPCI. »

Mettre en cohérence les compétences entre Région et Département ?

Cela a été fait à plusieurs reprises… notamment quand le conseiller général Hamilcaro Cyrille faisait partie de la majorité départementale de 2001 à 2008, et que l’harmonisation des compétences entre région avec Paul Vergès et département avec Nassimah Dindar s’est concrétisée par un accord en 2005.

Faut-il comprendre que les exécutifs de l’époque ne sont pas allés jusqu’au bout des possibilités ?

Mais n’y a t-il aussi une autre approche ?

Je prendrais l’hypothèse de la mutualisation.

Avec la mutualisation, la clarification dans la répartition des compétences n’est plus indispensable.

L’exemple de la mise en place d’un syndicat mixte des transports en est une illustration.

Sauf erreur, cela commence à se pratiquer.
 
Attention à l’imprécision dans l’attribution d’une compétence « exclusive »  

De plus, parler de « compétence exclusive » me paraît dangereux si des précisions ne sont pas apportées afin d’éviter de se « planter ».

En effet il ne faut pas que cela soit  contradictoire avec la règle la libre administration des collectivités et de non tutelle d’une collectivité sur une autre.

Il en est ainsi quand la proposition suivante est faite : « l’aménagement du territoire seraient de la compétence exclusive de la Région ».

Ou encore lorsqu’il est suggéré de consacrer l’éducation, la santé et la culture à « la compétence exclusive du Département » :

Cela signifie-t-il que le département s’occuperait des lycées, et reprendrait la gestion des TOS travaillant dans les lycées ?

Le Département seul s’occuperait-il de la culture ? Parce que cela touche à l’humain ?

Et la santé ? Comment établir un « plan réunionnais de santé publique » s’il ne repose pas, par exemple, sur la recherche ? Quels seraient les rapports entre les deux collectivités ?
 
L’exercice difficile de mise en adéquation de l’emploi et de la formation  

Quant à l’adéquation entre emploi et formation, cela existe déjà.

Les PRDF et autres documents de planification ont eu, plus ou moins cette ambition.

Mais cela n’a de toute évidence pas permis de résoudre la question du chômage.

Entre autres pour les deux raisons suivantes :
- d’une part, parce qu’il y a toujours une partie de la population qui ne pourra pas entrer dans les dispositifs, faute d’une formation initiale suffisante ;
- d’autre part, parce que le tissu économique réunionnais étant fait de TPE ou d’entreprises artisanales, les projections à long terme sont très difficiles.

Il y a à ce sujet une abondante littérature.

D’ailleurs, même au niveau national, ces projections sont difficiles à réaliser. Un exemple, la pénurie d’infirmières était-elle difficile à prévoir ?
 
Plutôt une responsabilisation citoyenne dans la gestion des emplois aidés  
Cyrille Hamilcaro : « La gestion des emplois aidés. Tout un chacun souhaite sortir de la dictature de la pression des emplois aidés sur la gestion quotidienne. »

Je ne sais pas si tout un chacun le souhaite, mais je suis assez d’accord avec les propositions formulées ensuite.

Avec un bémol : il ne faut pas souhaiter le dessaisissement des collectivités locales de cette « responsabilités » pour retomber dans le travers d’une gestion exclusive de l’Etat.

A l’heure où nous souhaitons, avec ou sans réforme institutionnelle, nous inscrire dans l’ère d’une responsabilité plus affirmée, nous devons tout faire pour que la responsabilisation citoyenne soit une constante de notre démarche d’élus.

A ce titre, et dans un objectif de maintien, à défaut du renforcement, du lien social, la gestion par l’Etat, avec le concours des collectivités locales pour aider à l’élaboration de projets, et la participation à la décision de comités citoyens de quartiers, notamment pour la désignation des bénéficiaires, me semble être une solution plus appropriée.

En conclusion, je préciserai ceci : l’analyse de mon collègue Cyrille Hamilcaro a un mérite, celui d’exister. Mais cette analyse soulève autant de problèmes qu’elle prétend en résoudre.

Sur son blog



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Les commentaires

1.Posté par pätrice bénard le 30/03/2013 10:10
!!!

J'avoue: je ne pensais pas Pierre vergès aussi calé! A force d'entendre tout et n'importe quoi sur lui. Il m'a bluffé là.

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