Alain Lorraine est né à Saint-Denis le 2 novembre 1946. A deux ans, il connaît son premier exil en métropole ; Il revient sur l’île pour son service militaire et pour poursuivre ses études à l’Université de la Réunion.
Il devient journaliste à « Témoignage Chrétien de la Réunion » où il découvre la réalité économique et sociale locale avec le Père Christian Fontaine entre autres.
En 1975, il crée un mouvement en faveur de la culture réunionnaise, la « culture du fénoir », il milite en faveur de l’autonomie de l’île.
En 1981 Il fonde le journal Fanal « un fanal qui naît, c’est 100 bouches qui s’ouvrent. » parution éphémère où ses revendications sont toujours d’actualité : « Vivre et travailler au pays est une revendication à satisfaire par tous les moyens. Avoir le droit et le désir de vivre où l’on veut , sous d’autres cieux, c’est un droit individuel absolu. »
En 1975 , les éditions L’Harmattan éditent Tienbo le rein et Beaux visages cafrines sous la lampe, avec quelques modifications par rapport à la première édition.
La place de son oeuvre dans la littérature
Dans ces textes militants, Alain Lorraine se positionne clairement comme chrétien de gauche, dédie ces poèmes aux « z’enfants la misère »
en décrivant les hommes déracinés :
« Des hommes sans nom jetés dans la gueule des cyclones
jetés hors du Mozambique sans la tribu des transes
hors du Coromandel sans les temples du safran
hors des récifs de Bretagne sans la houle des pardons
des hommes vaincus par le vide dans le silence des racines. »
(Extrait de Visages Archipels)
en décrivant les femmes, leurs labeurs :
« Ces femmes avec des robes à bout de sous
Elles descendent très tôt au cuit de l’aube vieillie
Elles descendent les pentes des champs
Une famille dans la main
La fatalité dans leurs yeux. »Ces femmes ...
Son deuxième recueil est édité en 1990, Sur le Black, le black étant le bitume en créole . Bitume sur lequel a été assassiné un jeune homme pour des raisons politiques. Le Black c’est également le monde noir. A son propos, Alain Lorraine précise :
« Tienbo le rein a été le livre de la bonne conscience.[...] J’essaie de faire de plus en plus de livres de l’inconscient. »
Ce livre souligne ses aller-retour réunion-métropole mais la mélancolie toujours l’habite :
« nous n’avons pas résisté
nous ne savons plus résister
forteresse vide de cette figure d’île
tellement aimée des pluies des navires
Tellement aimée
grande fleur fanée. »
Le poète se console grâce à l’amour, les femmes
« cette bien belle négresse
engrossée dans les champs
par un descendant d’italien »
Dehors est un grand pays Son dernier recueil poétique paru en 1993 est un cheminement fait de rencontres, il s’agit d’une sorte d’odyssée de l’intime écrite à la première personne.
« Je ne suis pas de reniement. Je ne suis pas d’enfermement. Et Dehors est un grand pays, tu sais. »
Tout le long de son œuvre, il évoque le Maloya, la mémoire du chant des esclaves
« Pays-Maloya
Comme un cri d’espoir à qui on passe les chaînes
les barbelés, les prisons,
Comme une plainte de vieille servante damnée
sous la misère
Comme une peur d’enfant dans la nuit tropicale
Notre Maloya d’or et de tristesse chante pour vous tous »
(Extrait de Pays maloya)
Pour lui « Chaque peuple a son talent , c’est-à-dire sa vérité, son secret, son chemin. » Ce talent, le maloya, est devenu « l’opéra de tout un peuple ».
Alain Lorraine passe ses dernières années à Paris où il s’éteint le 18 mai 1999.
Bibliographie
Poésie
-Tienbo le rein, Beaux visages cafrines sous la lampe-L'HarmattanI975-Prix des Mascareignes 1976.
-Sur le black-récit et poèmes-Éditions Page libre- La Réunion-1990.
-Poèmes accompagnant les sculptures d'Eric Pongérard.
-Dehors est un grand pays-Paroles d'Aube-Vénissieux-1993.
Essais et autres écrits
-Les Chrétiens du désordre-Calmann-Lévy 1979 (Essai reportage de sociologie religieuse sur 1'engagement politique des Chrétiens en France..)
-J’habite les Hauts Champs, puisque je viens d’ailleurs – chronique- N° Spécial Hem-Revue Aube Magazine-1995.
-Une communauté invisible : 175000 Réunionnais en France métropolitaine, avec Wilfrid Bertile Essai-Éditions Karthala-1996.
-Jeamblon où les Petites libertés-Nouvelles et chroniques-Éditions Karthala et Éditions Grand Océan-1996.
-Histoires de silence, … du marronnage au mondial-pièce de théâtre-1998-inédite.
-La Réunion, île de mille parts- Actes Sud-2001 (Edition posthume)
Parenthèse poétique
LES FEMMES DE L'EAU
A six heures de leur matin
Passent les lavandières
Ici on ne les appelle pas : «Lavandières»
C'est un mot trop savant
Etouffé dans un livre
A six heures de leur matin
Elles avancent au fond
de la rivière
Les bonnes
Les servantes
Les vieilles femmes de la cour
Les mères gardiennes
de la marmaille
Et leurs mains noires,
blanchies par la fatigue,
écument les roches
écument les jours
et leur dos courbé
longtemps sous le soleil
et leur silence filtrant
toute la rivière
et leurs enfants,
éclat de pleur entre deux jeux
Mesurent toutes les peines
Retiennent tous les rires
A six heures de leur nuit
repartent
Les bonnes
Les servantes
Les vieilles femmes de la cour
Les mères gardiennes
de la marmaille
La tête gonflée
par une lourde charge du linge des autres
Leurs jupes à bon marché,
Colorées naguère,
Ruinées par la misère,
Remontent l'escalier de pierre
Et elles s'en vont
Les femmes de l'eau
Vers les travaux du soir
Le mari du soir
Les enfants du soir
Les soucis du soir.
Et la nuit qui tombe sur leur peau
fait exploser le silence de la case
Et cambriole en silence
les six heures de leur sommeil
en attendant ...demain matin
au fond … de la rivière