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A fleur de peau


VÉLI
Lundi 25 Mars 2019

L' amour : thème éternel de l' écriture poétique, mot qui prend racine sans les cœurs des hommes


Création 2017
Création 2017
La femme créole et le sentiment amoureux à travers une exploration des textes poétiques de La Réunion du 18ème siècle à nos jours ou liées à l’ île.
En saluant l’amour chanté, pleuré, désiré, la compagnie Véli explore des chemins fleuris et désertiques ; là où sensualité et sensibilité se rapprochent ; là où plaisir et plaie du désir cherchent à rimer et à s’arrimer.
7 comédiens , des choristes, une musicienne et une danseuse prêtent et apprêtent leurs corps, leurs rythmes intérieurs, leurs complicités à l’aventure cosmogonique des illusions  et allusions cœur-porelles.
Il y a dans l’imminence du verbe incarné, dans cette nécessité renouvelée de dire l’impossible, de susurrer les rêves inachevés, une étincelante quête : celle de signifier Véli (l’étoile de l’amour) comme la caresse apaisante des « cœurs moulalés », comme la romance toujours sensible et indéfectible des fêlures à reconnaître et à réconcilier.
                                       Thierry Bertil
 

Gilberte Bonato
Gilberte Bonato
Spectacle de 1h15
6 comédiens, une danseuse de barathanatyam, vidéo de François Orre.
Mise en scène : Eric Boyer


Tournée en Creuse en mai 2017
Tournée en Creuse en mai 2017
LA TRIBUNE DES TRETEAUX.
 
            La Poésie, en voilà un mot qui fait peur, comme un triste souvenir scolaire, le châtiment toujours recommencé d’avoir à ânonner, massacrer des textes appris dans la souffrance pour satisfaire au pire exercice qui soit, la récitation. Comment apprendre en sachant qu’au moindre mot on sera dévalorisé, comment aimer ce qui est magnificence, si ces mots mal dits doivent devenir une sanction, une déficience, une terreur ?
            La Poésie ? Il faut tout le talent et l’enthousiasme de la Compagnie VELI pour lui donner  vie et démontrer que, oui, la Poésie est un charme ensorceleur, qu’il n’est pas nécessaire de tout comprendre, mais qu’il est bon de savoir se laisser aller à la musicalité du mot, du vers, du phrasé, qu’un texte en gujrati enchante par son étrangeté même, qu’un  accent  qui peut dérouter est  a priori un appel vers autre chose, de l’inconnu, un enrichissement.
            D’où le pari formidable de ce spectacle « A Fleurde Peau  », mis en scène par Eric-Antoine Boyer, un florilège dédié à l’amour des femmes qui est aussi amour des éléments fondateurs de l’existant, amour de notre île. Car la Poésie peut et sait devenir mouvement, corps vivant, corps dansant, mêlant le chant, le clap rythmé des mains, corps vibrant d’une philosophie qui choisit la beauté des imageries, oui, la Poésie se lit, se dit et se joue, il existe un « théâtrepoétique », une scène où la Poésie se déploie en tableau mouvant.     
Pour décor, une projection, l’image d’une colombe ou d’un paille-en-queue, un oiseau concret-abstrait qui est unique et universel à la fois. Un animal  ailé doté d’un visage qui vient décorer son être virtuel, une face juvénile, des yeux ronds qui regardent le monde avec un étonnement pétri d’ingénuité, une bouche légèrement  souriante. L’image en fond de scène dessinée sur un écran où se succèderont des fragments de toiles du peintre Henri Castelneau , cette toute première esquisse qui donne le « la » au spectacle, se fait azuréenne, comme un lien entre ciel et mer, un bleu oriental, ce bleu inimitable de l’Outremer.
            Puis, comme une chaîne de tableaux qui en appellent à la femme, par fractions, par effraction, en sélective suggestion, on voyagera sur des « Correspondances » chères à Baudelaire. Les mots, les visions, les couleurs, les senteurs humées dans notre imaginaire, les saveurs dégustées avec la gourmandise insatiable de l’Autre : ces synesthésies que la mise en scène renforce en harmonie disparate, en cacophonie mélodieuse, ces contraires apparents ne sont que complémentarité et donc nécessaire approche, mélange et créatrice promiscuité.
            Ainsi le saxophone d’Huguette Hoarau vient-il côtoyer le chant rossignol du Tamil Nadu et SantaGilberteBonato  exécute-t-elle, dans l’éclat de son art lumineux, un extrait de l’épopée de Krishna, jazz et musique issue de textes millénaires ; mais ce n’est pas télescopage d’époques et de styles divergents : seulement, absolument, la rencontre créatrice d’un monde nouveau, big-bang des arts pluriels en un Art unifié, cohérent, égalitaire, comme un vertige heureux de tous les possibles de ce qui dit et fait l’Humain.
            Et les poèmes font cohorte, débordement du regard sur le corps de la Femme, détail d’un œil peintre et assoiffé qui se repaît de la vue de cet être inconnu encore et vers qui monte le désir. La prunelle créole, l’attrait de la peau, le pêle-mêle du rêve et du souvenir, le poète s’enivre d’un flacon de fragrances. Et cette femme devient fleur, fruit, « ambre et musc », « sein que (des) lèvres avides aimeraient sucer »,  ivresse d’un goût de canne, émerveillement devant la promesse d’un « volcan qui  sommeille ».  L’enfer est doux, le corps est comme un paradis, « des diamants glissent avec plaisir sur cette peau de mangue » ; l’amour est appétit, repas de délices indicibles et seules métaphore et comparaison sont moyens d’aborder lexicalement la fièvre du sexe qui attend son heure et son bonheur.
            « A fleur de cœur, je ferai couler dans tes veines tout un torrent d’amour »… « J’écris le cri carminé de ton corps renversé »… « Elle a donné sa peau au velours des nuages ». Et la réponse vient : « Mon tant l’aimé… Aou mon fèy kaloupilé »… « èm amoi » pour « met in pé la limièr dan mon fénoir ». Fusion des êtres qui semblent renaître en une métempsychose sans fin : l’amour prolifique ne cesse de récréer les amants.
            « J’aime pour ce cœur immortel que je ne détiens pas ».
            Les comédiens d’abord assis, occupés à des tâches lontan, qui à la broderie Cilaos, qui au tri des lentilles dans un van tressé, se lèvent les uns après les autres ou ensemble et  naît alors une chorégraphie lente et élégante. Le poème se théâtralise, des costumes, voilages translucides viennent les recouvrir ; les chaises se déplacent et se refonde ainsi un espace de jeu ; on voit se faire et se défaire la vie commérage, la vie confidence, la vie rivalité, la vie tentation, la vie damnation, comme cet ermite attiré par une ondine maléfique, sorte de Vouivre dévoreuse, qui n’est plus qu’algue, lichen à peine visible : le péché punit l’anachorète et il disparaît dans une floraison de lac, à peine végétal, inconsistant, pour  avoir cédé à celle  qui « glissait dans le cristal » et « l’harmonie d’un ciel oriental ».
            L’humour n’est pas absent de cet argument théâtral sur le bonheur/souffrance de l’Amour accessible/absent.
             La métaphore du gros bambou, offert à la vue et à la consommation érotique, vaut bien la lettre à Madame deSévigné où  sa jeune fille trop naïve mais éprise des jeux de la jouissance, se laisse « embrasser la tirelire » et confie à sa mère que « demain sur la carpette, il m’apprendra la levrette ». Amour, humour, l’un ne va pas sans l’autre et l’élégie du désir rejoint le pastiche des « Deux Pigeons ».
            La mise en scène ne cesse d’élargir sa vision et  sa quête  de l’Humain sans frontière : venue d’une chorale sur la scène et le groupe des comédiens se double de chanteurs qui entonnent « Le Prisonnier de la Tour ».
            De fait, « les histoires d’A, les histoires d’amour finissent mal en général ». « Mourez indomptés souvenirs qui me retracent l’infidèle » ! L’homme trompé souffre et hésite entre espoir et mélancolie : « Un jour viendra où tu me diras je t’aime et j’aimerai ». La Femme, éternelle Eve, lutte par l’acharnement au travail contre le désir de l’homme absent qui la torture ; et l’entourage guette le moment où elle cèdera au goût de l’orgasme qui lui taraude le corps et la mémoire. Femme chaste ? Femme satanique qui joue des artifices de la séduction.
            L’amour connaît l’usure de la vie et de ses aléas, et comme le chantait LéoFerré : « avec le temps, on n’aime plus ». Il reste à espérer, afin de vivre l’amour comme un viatique, de boire le vin sucré, sacré mais aussi nuisance hurlante et ce, jusqu’à ce que cet amour obsessionnel et délirant de mots en vienne à faire se déchirer le ciel. Car « L’amour est don divin… Le sésame du genre humain ».
            Et c’est sur ce cri chanté, lamenté de souhaits, heureux douloureux, que se clôt ce magnifique spectacle qui nous a emmenés loin, jusque dans le chant du grand Senghor, chantre de la « Femme nue, femme noire ». Ici, sur cette scène, Jean Albany fut le skipper inspiré d’une belle  aventure envoguée à la  vague des mots. Et dans la salle, ThierryBertil, poète s’il en est, nous honorant de sa présence, regardait la Compagnie Véli créée dans le sillage de Jean Albany, comparse de la première heure d’Eric Boyer.
            Quel merveilleux cadeau que cette soirée où les mots sont devenus breuvage magicien, philtre de l’amour de la langue belle, enivrement vers des contrées inconnues que l’imaginaire s’invente pour le plaisir du désir et l’irrépressible envie d’aimer comme d’être aimé.
Merci et Bravo pour ce talent inaltéré, inaltérable, qui ne cesse de mettre haut son exigence d’envoler la Poésie vers des sphères étoilées où chacun peut accéder. La Poésie de tous, la Poésie pour tous… Quel superlatif pourrait signifier le raffinement du jeu, la puissance du mot et la beauté de ce spectacle ????
 
                                                           Halima Grimal
 

Eric Boyer



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