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Qui écoute encore les poètes ?


Édito
Samedi 10 Novembre 2012

Marie Élixène de Lanux morte à 19 ans
le 20 janvier 1840
et
Marie Élixène Baillif
morte à 15 mois
le 7 avril 1841


Qui écoute encore les poètes ?
Marie Élixène de Lanux est morte en donnant au monde Marie Élixène Baillif et sa fille ne lui a survécu que quinze mois.
 
Marie Élixène de Lanux était la cousine de Charles Marie Leconte de Lisle.
 
Ils sont enterrés tous les trois au cimetière marin de Saint-Paul dans l'île de La Réunion.
À l'ouest de l'île, entre le cap de la Houssaye et la pointe de la rivière des Galets.
 
Le cimetière fait face aux cavernes des « Premiers Français » qui étaient en majorité malgaches.
 
La tombe de Marie Élixène de Lanux et de Marie Élixène Baillif est assez voisine de celle d'Olivier Levasseur, dit la Buse, exécuté à Saint-Paul en 1730.
 
La Buse,
le pirate du XVIIIe siècle et des mers du Sud.
 
 
 
Dans les jardins qui sont le seuil des grottes des « Premiers Français », il y a une quinzaine de souches.
L'une d'elles est sculptée par Hervé Kirmann qui a quitté l'Alsace pour venir mourir ici, ici, inconnu : sans tombe, mourir ici à l'âge de Marie Élixène de Lanux en 2002.
 
 

Qui écoute encore les poètes ?
Hervé Kirmann
1969-2002
 
Et au lieu de donner naissance à Marie Élixène Baillif, il a laissé cette souche remplie de jeunes femmes et de jeunes filles nues.
 
La première fois, j'y suis arrivé accompagné par la nuit et je ne sais encore comment j'ai rencontré cette souche dans l'obscurité absolue et comment j'y ai retrouvé et reconnu toutes ces femmes splendides, ces femmes végétales aux chairs suaves, aux poses câlines, aux gestes doux et aux peaux foncées ;
ces femmes végétales soutenant le vieil arbre abattu, disparu : absent.
Il y a comme un dialogue entre ces dépouilles des Élixène, jadis de chair et d'os et ces Élixène encore de bois et de fibres.
 
La souche est laissée là sans protection.
Les animaux et la vermine la guettent.
Un barbare crétin, déjà, a peint à la bombe d'un agressif orange phosphorescent le pied d'une racine de quelques flèches stupides tirées par ce vandale malvoyant.
 
Je suis retourné au cimetière marin, je l'ai parcouru jusqu'à la tombe de Charles Marie et j'ai continué ma traversée jusqu'à la mer. Devant la plage de sable noir j'ai lu à voix haute ce que j'avais lu des yeux devant sa tombe :
 
Solvet seclum
Tu te tairas, ô voix sinistre des vivants
Blasphèmes furieux qui roulez par les vents,
Cris d'épouvante, cris de haine, cris de rage,
Effroyables clameurs de l'éternel naufrage,
Tourments, crimes, remords, sanglots désespérés,
Esprit et chair de l'homme, un jour vous vous tairez !
Tout se taira, dieux, rois, forçats et foules viles,
Les bêtes des forêts, des monts et de la mer,
Ce qui vole et bondit et rampe en cet enfer,
Tout ce qui tremble et fuit, tout ce qui tue et mange,
Depuis le ver de terre écrasé dans la fange
Jusqu'à la foudre errant dans l'épaisseur des nuits !
D'un seul coup la nature interrompra ses bruits.
Et ce ne sera point, sous les cieux magnifiques,
Le bonheur reconquis des paradis antiques,
Ni l'entretien d'Adam et d'Ève sur les fleurs,
Ni le divin sommeil après tant de douleurs ;
Ce sera quand le globe et tout ce qui l'habite,
Bloc stérile arraché de son immense orbite,
Stupide, aveugle, plein d'un dernier hurlement,
Plus lourd, plus éperdu de moment en moment,
Contre quelque univers immobile en sa force
Défoncera sa vieille et misérable écorce,
Et, laissant ruisseler, par mille trous béants,
Sa flamme intérieure avec ses océans,
Ira fertiliser de ses restes immondes
Les sillons de l'espace où fermentent les mondes.
 
(Poèmes barbares pages 361 et 362 Éditions Librairie Alphonse Lemerre)
 
 

Qui écoute encore les poètes ?
Le plus vieux, rascleux et gris, s'est retourné pour écouter ;
son voisin noir au museau jaune a aussi tendu l'oreille,
la femelle blonde aux pattes et au col blanc a continué sa somnolence,
un autre jeune bâtard beige au museau noir m'a regardé puis, comme sa mère, s'est rendormi ;
à quelques mètres d'eux, isolé, à l'extrême limite de la mer et du sable trempé,
un dernier poilu et touffu, aussi noir et luisant que le sable, s'est alors dressé,
il m'a regardé, a regardé ses compagnons et la mer puis s'est rassis.
Cinq chiens dans la lumière qui descend côte à côte avec le soleil furent notre seul public.
 
Nous avons eu des publics moins nombreux et de plus mauvaise qualité !
Qui écoute encore les poètes ?
 
L'océan couvre leur voix et les chiens sans maître se reposent dans le sable tiède du soleil couchant...
 
Julien Blaine

INFO REUNION



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