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COMBATTRE LES NOUVELLES FORMES D'ESCLAVAGE
Entretien d'Ayoko Mensah avec Françoise Vergès
Célèbre politologue, spécialiste de l'esclavage et des sociétés postcoloniales, Françoise Vergès est également présidente du Comité pour l'Histoire et la Mémoire de l'esclavage (CPMHE). Dans son dernier essai, "L'Homme prédateur. Ce que nous enseigne l'esclavage sur notre temps" (1), elle replace la figure de l'esclave au cœur de notre modernité et analyse la capacité de l'esclavage à se réinventer.
Votre essai entend "réintroduire la figure de l'esclave dans le champ du politique". Qu'est-ce que cela signifie ?
L'esclave est un être humain intégré dans un système économique, culturel, social et géopolitique. Il conteste ce système en agissant à l'intérieur - en gagnant des espaces de liberté, en résistant de mille manières - ou à l'extérieur - en marronnant, en organisant des révoltes. Cela fait de lui une figure du politique. Quand on accepte la notion esclavagiste d'objet, on fait de l'esclave, un être sans pensée, sans rêves, sans sexe, sans histoire. Réintroduire cette figure dans le champ du politique a plusieurs implications : les principes inaliénables - liberté, égalité - et la citoyenneté, comme la dignité, sont pensés en intégrant cette figure qui hante, par son absence, tous ces champs. Sa réintroduction donne à cette figure une contemporanéité : pourquoi, malgré les progrès humanitaires, les progrès technologiques, la condamnation unanime de l'esclavage, ce dernier perdure en se reconfigurant sous de nouvelles formes ? C'est une question politique : dans quel monde voulons-nous vivre ?
Pourquoi est-il si difficile de "reconnaître la centralité de l'esclavage colonial et de la traite dans l'Histoire française" ?