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Aimé, ses airs de nègre, le chantre d'espoir


Dans la presse
Mercredi 6 Avril 2011


Aimé, ses airs de nègre, le chantre d'espoir
Aimé.

Toi dont le prénom fut comme une prophétie et le miroir d’une existence.

Toi qui fus la matière de tout ce qu’il faudrait de matière pour réussir la plus admirable simplicité. Toi qui fus la substance même de l’attention la plus généreuse aux autres, du don de soi, du don d’une vie entière, pour refuser (sans concession et sans rien perdre de la plus haute noblesse) tous les attentats et tous les crimes contre l’humain.

Toi qui précipitas l’Afrique - l’Afrique pillée, offensée, massacrée ⎯ contre les mauvaises consciences du monde occidental, contre les dominations, contre l’oubli et les paternalismes, et qui fis du mot « nègre » ⎯ comme de toute la race noire ⎯ l’étendard de ce qu’il y avait de plus large, de plus digne, de plus humain, mais aussi de plus intraitable dans le refus que les peuples du monde dressèrent, ensemble, contre la peste coloniale.

Toi qui fus le compagnon des luttes du 20ème siècle. Toi, grâce auquel il n’existe pas une âme, pas un courage, pas un sacrifice, qui ne fut escorté par la voix du poète ; pas une ferveur qui n’ait été portée, transportée, emportée, par la magie miraculeuse du verbe poétique de la grande Négritude ; pas une détresse qui ne se soit ressourcée dans quelques vers du Cahier d’un retour au pays natal ou dans les grondements salubres du Discours contre le colonialisme.

Toi, c’est-à-dire tout ce qui, dans ce siècle terrible s’est avancé vers la liberté, vers un plus de conscience, de dignité humaine ou de civilisation, s’est accordé à ta présence, s’est accordé à toi.

Aimé, toi qui, malgré l’ampleur de ta présence au monde, consacras l’essentiel de tes forces aux plaies de ton pays ⎯ ce pays minuscule qui pourtant te parut toujours inépuisable dessous les frappes de la domination et du colonialisme.

Toi qui, dans les pires instants, fus pour nous la seule parole de dignité, mais aussi le seul mot d’ordre du travail et de l’Autonomie, rappelant incessamment à tes militants : la chance de la Martinique, c’est le travail des martiniquais. Toi, le seul cri de l’injonction contre les renoncements, et qui sans rien perdre des souffles de la terre, tenant ton rang parmi les fils aînés du monde, t’inscrivis si profond dans ces cases, ces quartiers, ces travaux quotidiens auprès des indigences, au chevet des milliers de petites gens tombées des plantations et des enfers de la canne et du sucre, et que tu accompagnas durant 56 années de ta vie pour leur trouver de l’eau, un lopin de terre, un mur, un toit, un plancher, un lit, un emploi, une école, en les aidant du coup, à survivre et en leur offrant les moyens de leur liberté et de leur émancipation.

Toi qui fus l’idée de liberté, dans ce qu’elle comporte d’utopie fondatrice et même refondatrice, mais qui sus l’augmenter du réalisme qui permet de faire un pas, de le tenir gagné, et de lui ajouter un autre pas… Un effort quotidien durant lequel, pourtant, tu trouvas le temps de la solitude extasiée, le temps de ces promenades, à Basse Pointe, à Tartane, au Diamant, à la Caravelle, à la montagne - je veux parler de la Pelée - et durant lesquelles tu contemplais non pas les paysages mais des présences amies : des arbres sculptés par le travail du vent ; les manguiers d’avril ; le carême qui pourchasse par les mornes l’étrange troupeau des rousseurs splendides ; les déchirures en dorade des feuilles de bananier ; le sang des flamboyants ; le téton flasque des Pitons ; le triple cœur pantelant des balisiers (tu en as fait l’emblème de ton parti) l’infime merveille du colibri dont tu t’étonnais toujours qu’un corps si frêle puisse supporter sans éclater le pas de charge d’un cœur qui bat…

J’entends encore ta voix qui disait que l’hibiscus n’est pas autre chose qu’un œil éclaté d’où pend le fil d’un long regard…

Ce texte est tiré de l'oraison funèbre lue par le président du Conseil régional de Martinique, Serge Letchimy, le jour de son enterrement.




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