Mise en scène Isabelle Bertil
Durée: 1 heure
Durée: 1 heure
La Tribune des Tréteaux.
La poésie qui est tableau métaphorique et tissage de mots peut-elle dire la souffrance et le silence des femmes ?
La compagnie Véli, selon un florilège de textes écrits par des auteurs uniquement féminins et issus des îles de l’océan Indien, présente son spectacle « Taire de Femmes », dans une mise en scène d’Isabelle Bertil.
Le titre donné à la représentation est jeu de mots ainsi qu’Aimé Césaire l’avait pu concevoir pour le recueil « Ferrements », donnant à voir et l’entrave mutilante et la germination révoltée des peuples asservis. Ici, l’absence de parole s’apparente à l’enterrement de l’être, une inhumation de chaque jour où le propos féminin est confisqué : c’est la terre des damnées, les « damnées de la terre », comme l’eût écrit Frantz Fanon.
Tout de suite, le spectateur est frappé par l’arrivée solennelle de huit comédiens, une file indienne sans un mot ; puis un placement précisément orchestré, pour que se dise le premier poème, « Les Neuvaines », de Julienne Salvat. Et le jeu s’organise, la musique et la salve des mots s’élèvent, tel un chœur antique dont chacun devient le coryphée, des « mots dits » pour des êtres qui portent l’anathème de leur condition féminine, ce fameux « Deuxième Sexe » analysé par Simone de Beauvoir.
Les hommes portent des tuniques aux tonalités rabattues qui signalent l’usure des jours, heures déteintes, la perpétuation d’un état ancestral et présent, rien ne change, le temps poursuit son œuvre habituelle et délétère. Les quatre comédiennes sont vêtues de robes courtes aux motifs courbes et aux couleurs symboliques : le brun des sols fertiles cultivés qui donnent la nourriture au foyer, la femme est argile modelable, personne vouée au labeur anonyme pour lequel lui ne viendra nulle reconnaissance et le microcosme de la maison suggère une situation universelle et intemporelle (« L’île est le monde et inversement ») ; le rouge évoque les étapes initiatiques de la vie, naissance, nubilité, sexualité, maternité, le sang marque l’existence, donné, pris ou versé, les femmes s’inscrivent dans un processus sacrificiel ; et puis le blanc en cercle, le vide, l’abîme des jours sans différence, le blanc est domination des autres, les femmes sont les asservies de toujours ; et enfin, le point noir, comme l’oeil du cyclone, le cratère du volcan, la prunelle du maître, mais aussi comme la disparition de soi dans un univers où ni l’épouse ni la future mère n’ont de place à elles.
Sur la scène nue, un seul accessoire, venu du terroir, un symbole rural et ancestral, un faisceau de brindilles sèches nouées par une ficelle. Et cela devient le balai qui courbe le dos chaque matin sur la terre battue et sur le devant de la case (« Sais-tu ce qu’est un corps désuni ? »). L’objet unique devient multiple : fourré de la savane derrière lequel on se dissimule en partie, éventail, pilon en rythme dans la solidarité du village, percussion que l’on frappe dans le creux de la main ou encore masque. Esthétique et douleur âpre, bouquet desséché, un seul élément et se joue devant nous le drame des femmes.
Thierry Borne lance au cœur des voix la plainte ou les syncopes de son accordéon, tantôt illustrateur du propos poétique, tantôt poète des notes qui, au milieu des comédiens, se fait acteur ; la musique et les mots se nouent, se tressent et le « dire des femmes » peut exister devant nous.
Des êtres taraudés par leur inexistence : « Je suis Atride/Je suis apatride/ Je suis Atlandide ». La plume d’Ananda Devi montre la femme vouée à une inconsistance dont elle est consciente et qu’elle reconnaît comme une fatalité. « Mi koné pu ki sa mi lé/mon lesclavaz lé en d’dan ». La soumission est son destin, et elle est dépositaire d’un « passé l’Afrique », « fo pas oublyé ».
Elle aime, sans qu’on lui rende la tendresse qu’elle souhaiterait : « Akoz ti regard pa moin?/ Akoz ti écout pas moin ?/Mi pleure/Mi ri/Mi atan/Mi espèr… Akoz ti aim pa moin ? ». L’homme l’ignore ou la harcèle, prédateur indifférent, « Grand jabot coq dressé après ta jupe », amant trompeur, mari ennemi. « Koi k ce moi zordi ? Ton rien. Ton rien. »
Pourtant elle est désir et sensualité, imaginant « un kaf bataille/ Un kaf pagaille/…Un kaf lamour/Un kaf désordeur » et le rire , la moquerie sont un jeu provocateur ; elle sait renvoyer le joli cœur en demande sensuelle aux tâches du ménage, tournant sa propre vie en dérision, devenant le miroir de la suffisance des hommes.
La poésie qui est tableau métaphorique et tissage de mots peut-elle dire la souffrance et le silence des femmes ?
La compagnie Véli, selon un florilège de textes écrits par des auteurs uniquement féminins et issus des îles de l’océan Indien, présente son spectacle « Taire de Femmes », dans une mise en scène d’Isabelle Bertil.
Le titre donné à la représentation est jeu de mots ainsi qu’Aimé Césaire l’avait pu concevoir pour le recueil « Ferrements », donnant à voir et l’entrave mutilante et la germination révoltée des peuples asservis. Ici, l’absence de parole s’apparente à l’enterrement de l’être, une inhumation de chaque jour où le propos féminin est confisqué : c’est la terre des damnées, les « damnées de la terre », comme l’eût écrit Frantz Fanon.
Tout de suite, le spectateur est frappé par l’arrivée solennelle de huit comédiens, une file indienne sans un mot ; puis un placement précisément orchestré, pour que se dise le premier poème, « Les Neuvaines », de Julienne Salvat. Et le jeu s’organise, la musique et la salve des mots s’élèvent, tel un chœur antique dont chacun devient le coryphée, des « mots dits » pour des êtres qui portent l’anathème de leur condition féminine, ce fameux « Deuxième Sexe » analysé par Simone de Beauvoir.
Les hommes portent des tuniques aux tonalités rabattues qui signalent l’usure des jours, heures déteintes, la perpétuation d’un état ancestral et présent, rien ne change, le temps poursuit son œuvre habituelle et délétère. Les quatre comédiennes sont vêtues de robes courtes aux motifs courbes et aux couleurs symboliques : le brun des sols fertiles cultivés qui donnent la nourriture au foyer, la femme est argile modelable, personne vouée au labeur anonyme pour lequel lui ne viendra nulle reconnaissance et le microcosme de la maison suggère une situation universelle et intemporelle (« L’île est le monde et inversement ») ; le rouge évoque les étapes initiatiques de la vie, naissance, nubilité, sexualité, maternité, le sang marque l’existence, donné, pris ou versé, les femmes s’inscrivent dans un processus sacrificiel ; et puis le blanc en cercle, le vide, l’abîme des jours sans différence, le blanc est domination des autres, les femmes sont les asservies de toujours ; et enfin, le point noir, comme l’oeil du cyclone, le cratère du volcan, la prunelle du maître, mais aussi comme la disparition de soi dans un univers où ni l’épouse ni la future mère n’ont de place à elles.
Sur la scène nue, un seul accessoire, venu du terroir, un symbole rural et ancestral, un faisceau de brindilles sèches nouées par une ficelle. Et cela devient le balai qui courbe le dos chaque matin sur la terre battue et sur le devant de la case (« Sais-tu ce qu’est un corps désuni ? »). L’objet unique devient multiple : fourré de la savane derrière lequel on se dissimule en partie, éventail, pilon en rythme dans la solidarité du village, percussion que l’on frappe dans le creux de la main ou encore masque. Esthétique et douleur âpre, bouquet desséché, un seul élément et se joue devant nous le drame des femmes.
Thierry Borne lance au cœur des voix la plainte ou les syncopes de son accordéon, tantôt illustrateur du propos poétique, tantôt poète des notes qui, au milieu des comédiens, se fait acteur ; la musique et les mots se nouent, se tressent et le « dire des femmes » peut exister devant nous.
Des êtres taraudés par leur inexistence : « Je suis Atride/Je suis apatride/ Je suis Atlandide ». La plume d’Ananda Devi montre la femme vouée à une inconsistance dont elle est consciente et qu’elle reconnaît comme une fatalité. « Mi koné pu ki sa mi lé/mon lesclavaz lé en d’dan ». La soumission est son destin, et elle est dépositaire d’un « passé l’Afrique », « fo pas oublyé ».
Elle aime, sans qu’on lui rende la tendresse qu’elle souhaiterait : « Akoz ti regard pa moin?/ Akoz ti écout pas moin ?/Mi pleure/Mi ri/Mi atan/Mi espèr… Akoz ti aim pa moin ? ». L’homme l’ignore ou la harcèle, prédateur indifférent, « Grand jabot coq dressé après ta jupe », amant trompeur, mari ennemi. « Koi k ce moi zordi ? Ton rien. Ton rien. »
Pourtant elle est désir et sensualité, imaginant « un kaf bataille/ Un kaf pagaille/…Un kaf lamour/Un kaf désordeur » et le rire , la moquerie sont un jeu provocateur ; elle sait renvoyer le joli cœur en demande sensuelle aux tâches du ménage, tournant sa propre vie en dérision, devenant le miroir de la suffisance des hommes.