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28 février 1962 : Jennie, le violent cyclone que les Réunionnais n’attendaient pas


Culture - Kiltir
Mardi 18 Aout 2015

Le 15 août dernier, des centaines d’habitants de La Possession ont rendu hommage aux 9 pêcheurs de leur commune qui ont disparu en mer lors du passage sur La Réunion du cyclone Jennie. Des témoignages exprimés par des participants à cette cérémonie, il ressort malheureusement que la plupart d’entre eux ignorent ce qui s’est réellement passé le 28 février 1962. Aussi me paraît-il nécessaire de rappeler le déroulement de cette terrible journée.


Dans l’après-midi et la soirée du 27 février, la MBC (radio de l’Île Maurice) signale à intervalle régulier aux habitants de l’île sœur de La Réunion qu’ils sont sous la menace d’un cyclone de forte intensité. Les auditeurs réunionnais de la MBC, nombreux à cette époque, apprennent que l’alerte 2 et l’alerte 3 sont déclenchées respectivement à 17 heures et à 21 heures dans l’île voisine.

Au moment où ces communiqués sont rendus publics à l’Île Maurice, le préfet de La Réunion, Jean Perreau-Pradier, achève ses vacances dans sa villa de Saint-Gilles. Mais que fera le représentant de l’État français face à ces alertes qui concernent fortement La Réunion ?

Alors que le cyclone a déjà dévasté Maurice, Radio Saint-Denis, la seule dans l’île à l’époque, diffuse trois communiqués le mercredi 28 février à 7 heures 30, à 10 heures 30 et à 11 heures 20. Les deux premiers communiqués ne font pas état du danger qui menace les Réunionnais. Ils sont même rassurants.

Tandis que dès l’aube, à Saint-Benoît, les premières rafales sèment la panique, le préfet «rappelle impérativement aux personnels des services publics de l’État, du Département et des communes qu’ils doivent assumer leur travail normalement».
Le communiqué de 7 heures 30 informe la population qu’elle est «invitée à ne pas interrompre ses activités et qu’au cas où la menace du cyclone se précisait, elle serait aussitôt avertie, suffisamment à temps, pour permettre à la population de gagner sans risques ses abris». 

Se basant sur les renseignements fournis par la radio, les Réunionnais se consacrent à leurs occupations habituelles. En cette veille de rentrée scolaire, l’affluence est grande chez les commerçants. Rassurés, les pêcheurs, notamment ceux de La Possession (9 sur une quinzaine de professionnels), se sont rendus en mer bien avant le lever du soleil.

Vers 11 heures, les rues de Saint-Denis offrent un spectacle hallucinant. Pendant que les magasins se ferment soudainement, les gens courent dans la pluie et le vent vers leurs voitures, dont beaucoup sont renversées sous la poussée des rafales. D’autres se précipitent vers des abris de fortune. La stupéfaction se lit sur tous les visages. La même scène se produira un peu plus tard dans l’Ouest et dans le Sud du pays.

Pendant que le cyclone s’abat sur le chef-lieu, le directeur du service météorologique s’efforce de convaincre le préfet de la nécessité de déclencher l’alerte de danger immédiat. Ce n’est qu’à 11 heures 20 que Jean Perreau-Pradier accepte d’accéder à la demande du météorologiste, M. Foissy, en lui disant : «Bon, puisque vous la voulez votre alerte, allez-y !».

En raison de la carence du préfet, le bilan du cyclone Jennie, dont certaines rafales ont atteint 250 km / heure, fut très lourd :
37 morts (dont les 9 pêcheurs de La Possession) pour 350.000 habitants ;
150 blessés, dont certains gravement ;
4.000 maisons complètement détruites, des milliers d’autres endommagées ;
16.000 personnes sans abri ;
les récoltes ravagées à 80%.

Pour tenter de masquer ses responsabilités, Jean Perreau-Pradier fera état «de la brutalité, de la rapidité et de la soudaineté du cyclone Jennie», qui selon lui n’auraient pas permis de «donner l’alerte à temps». 

Voilà brièvement exposés les faits qui ont marqué à La Réunion la journée du 28 mai 1962. Un événement tragique, dont il y a bien des enseignements à tirer pour notre avenir, lorsqu’on connaît les effets du réchauffement climatique annoncés par des scientifiques et des responsables politiques pour les années à venir… 

Eugène Rousse


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