"Je suis honoré de votre invitation à cette conférence débat autour du développement humain et de la cohésion sociale dans les Outre-mer.
Ce sujet est central pour l’avenir de nos territoires, tant les défis à relever sont immenses, soulignés qu’ils sont par la persistance d’une crise financière et économique majeure.
Je voudrais aussi dire que si j’ai accepté de participer à cette table ronde, c’est que je souhaite que chacun mesure bien que le résultat du retard de développement dans nos territoires a pour nom inégalités et souffrance sociale des populations, des familles.
Aussi, loin d’un simple exercice rhétorique, il s’agît pour moi de porter témoignage de cette réalité, de son ampleur et de plaider pour un réel aboutissement dans l’outremer de la promesse républicaine de l’égalité.
Rappelons-nous que le développement de la Réunion et des DOM, s’enracine dans une histoire fondatrice d’une extrême violence, celle d’un crime contre l’humanité, celle de l’esclavage puis de l’engagisme.
Cette histoire façonne et fait fonctionner pendant près de 300 ans à la Réunion, une société dont l’organisation renie par principe des droits fondamentaux : liberté et égalité en droit depuis la naissance et tout au long de la vie.
Quand le 19 mars 1946, le système colonial prend fin outre-mer, c’est 156 ans après que des révolutions, des régimes politiques différents, des guerres ont transformé le territoire français, ses départements et leur population pour les faire converger vers un projet de développement commun ;
La Réunion subit alors une mutation sans précédent, en passant d’une économie primaire essentiellement agricole à une société de surconsommation qui voit l’expansion rapide du secteur tertiaire.
Ces changements d’une force et d’une rapidité sans commune mesure avec l’évolution de la société française, laisse la Réunion et l’ensemble des outre-mer aux prises avec des inégalités profondes (malgré l’alignement des prestations sociales), un malaise certain maintenant des situations de crises.
D’abord, une crise structurelle, car les chiffres attestent que le rattrapage en matière d’accès aux soins, à l’éducation, aux loisirs, à l’information, à l’emploi… reste à réaliser
La démocratie est récente à La Réunion. Il y a 30 ans nous nous opposions encore à la fraude électorale organisée.
La décentralisation s’est effectuée de manière incomplète. La constitution ne peut s’appliquer de façon pleine et entière à la Réunion, notamment son article 73 qui ouvre droit pour les collectivités, en raison de leur spécificités, d’adapter les lois et règlements tenant à leur caractéristiques et contraintes particulières. Nous devons bien mesurer l’impact de ce déficit pour notre île.
Puis une crise conjoncturelle qui actuellement vit ses heures les plus dramatiques : 5500 PME ont accumulé plus de 800 millions de dettes, qui concernent plus de 50 000 familles selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Réunion.
Cette crise a prolongé et densifié les situations de précarité dans lesquelles se trouvent plus de 50 % des familles réunionnaises qui vivent en dessous du seuil de pauvreté métropolitain.
Paradoxalement, comme une permanence des racines de l’inégalité évoquée plus haut, plus de 3 000 foyers réunionnais sont assujettis à l’ISF. Vous le voyez nous assistons à l’éloignement de deux mondes.
Les bénéficiaires des prestations sociales n'ont jamais été aussi nombreux avec 150.300 allocataires. Le chômage touche plus de 35% de la population active dépassant la barre des 100 000 personnes.
Chez les jeunes entre 18 et 26 ans il peut atteindre, le chiffre record de 60%.
Vous comprenez que le manque d’emploi reste le problème grave amplifiant les inégalités.
La cherté de la vie et notre vulnérabilité par rapport aux fluctuations des cours mondiaux (du riz, du pétrole, du charbon, des matières premières et des denrées alimentaires…) pose de façon aigue les questions de la formation des prix et des monopoles dans la grande distribution.
Nous devons faire face aussi à une augentation des victimes des grandes maladies : cancer, diabète, Alzhemer…
Les retards accumulés dans la construction de logements décents restent prégnants.
Les crédits pour le logement social demeurent insuffisants ce qui engendre encore plus d’inégalités. Comment freiner le processus d’exclusion ?
Et les conclusions du rapport présenté en introduction par Olivier Sudrie illustrent globalement mes propos et montrent que le situation s’est dégradé à la Réunion.
On le voit bien la souffrance sociale (qui témoigne de la limite d’un système) est le résultat d’un modèle favorisant les inégalités. Il faut traiter ces retards de développement sur des bases républicaines (justice, égalité, fraternité).
D’autant que le contexte économique et géopolitique international a profondément changé.
Une recomposition des hiérarchies économiques mondiales imposée par des pays comme la CHINE ou l’INDE, impacte nécessairement la cartographie classique des pays les plus riches.
D’une bipolarisation nous avons basculé vers une multi-polarisation au bénéfice de l’ASIE et des pays du SUD. Le centre de gravité des échanges commerciaux et économique change.
La mondialisation des échanges économiques, financiers, culturels, l’instantanéité de leurs effets en raison des avancées technologiques majeures ont créé ce village global où le pourtant si loin est devenu si proche. Les outre-mer sont au centre de ces bouleversements mondiaux.
Aussi est-il nécessaire de nouer des partenariats étroits avec les grandes puissances de demain. Les relations historiques que la Réunion et sa population entretiennent notamment avec l’Inde et la Chine, l’Afrique, pourraient faire de notre île une passerelle supplémentaire entre ces pays, la France et l’Europe. A nous d’en inventer les modalités.
Localement, les CCAS de la Réunion font face à une augmentation de la population et de son vieillissement et répondent à une hausse globale des demandes d’aides. Nos aides financières, alimentaires, énergétiques, pour les loyers et autres, apportent des solutions certes temporaires, mais non négligeables dans la situation actuelle et freinent les processus d’exclusion.
Nos CCAS/CIAS ont été obligés de s’adapter et de faire évoluer les modalités d’attribution de leurs aides face à l’apparition de nouveaux publics et à l’accroissement des demandes.
Ils permettent de pallier la rigidité, et les carences des dispositifs légaux. Ceux-ci, en effet, ne répondent pas toujours à des logiques microsociales, à des besoins particuliers et difficilement à l’urgence sociale.
En réalité, quotidiennement, les CCAS d’outremer sont à la fois le 1er et le dernier rempart de l’urgence sociale.
Mais au-delà, nous avons la responsabilité de faire des propositions globales et cohérentes. Nous avons des atouts : notre jeunesse et son dynamisme. Sa matière grise. La connaissance et le capital humain. Que faisons-nous pour dynamiser la recherche et le développement de l’économie immatérielle. Que faisons-nous pour faire valoir nos atouts touristiques ?
Comment répondre demain aux menaces écologiques (dues au réchauffement climatique) ?
Dans un monde aux ressources limitées, se posent des questions d’éducation, de santé, d’urbanisation, d’alimentation. Comment pourrons-nous ne pas subir l’augmentation du prix du riz engendrée par des inondations répétées en Asie du Sud-est ?
Comment ferons-nous pour limiter l’impact de l’augmentation du prix des denrées lié à l’envolée du prix mondial du sucre ?
Comment faire face et se prémunir demain des fluctuations du prix du pétrole (et donc des transports), du charbon (et donc de l’énergie) et de celui des denrées alimentaires et des matières premières ? Comment se prémunir de la sous-alimentation et des pandémies ? Comment ne pas subir et anticiper ?
C’est notre capacité à considérer l’ensemble de ces problèmes et à les resituer dans notre contexte local qui nous permettra de répondre à ces défis de façon globale et cohérente.
Cela suppose en fait que nous trouvions la façon d’adapter localement les règlements et les lois pour être réactifs et innovants. La Réunion a besoin d’un nouveau souffle.
En tant qu’acteur de terrain et de proximité (maire et président de CCAS), je veux rester pragmatique et suis le témoin d’une réalité difficile. Je suis particulièrement attaché à l’idée de communauté de destin que nous devons promouvoir.
En conclusion,
En dépit des retards structurels et d’inégalités persistantes, les outremers assurent à la France une présence mondiale. Elle représente l’état français aux 4 coins de ce grand village planétaire. Quel que soit le département, des problèmes similaires ou équivalents sont posés. En Guadeloupe, en Martinique, mais aussi à Mayotte, à La Réunion sans oublier la Guyane, Saint Pierre Miquelon, la nouvelle calédonie, Saint Martin, Marie Galant,…
Ensemble, il nous faut donc trouver des solutions qui tiennent compte de façon responsable et pragmatique de nos particularités, de notre potentiel, de notre environnement géopolitique immédiat, pour répondre aux enjeux d’avenir.
Il nous faut donc obtenir des lois adaptées à notre réalité et aux évolutions à venir.
Je pense qu’une plus grande souplesse est nécessaire dans l’exercice des compétences décentralisées. Une nouvelle ère de décentralisation est à mon sens incontournable. Je plaide volontiers pour une décentralisation accentuée avec un Etat, ni providence, ni censeur, mais régulateur.
C’est un processus de co-responsabilité et de co-décision, complété par l’exercice actif de la démocratie participative pour poursuivre la responsabilisation du citoyen, qu’il nous faut impulser.
Se pose alors la question du projet de société. Est-ce un projet basé sur l’individualisme ou au contraire un projet collectif, discuté, élaboré, approuvé et décidé par et pour l’ensemble des réunionnais ?
C’est un réflexe humain, patriotique et républicain que nous devons avoir. Il nous faut s’appuyer sur le droit à l’expérimentation, en se basant sur un service public fort, dynamique mais aussi sur un modèle innovant servant l’intérêt général et offrant de réelles perspectives de développement durable et solidaire".