inforeunion : Un regard Réunionnais - Ile de La Réunion - Océan Indien
sak ifé nout jordu ék nout demin

Education populaire : le secteur associatif continue à subir de lourdes pertes


Politique
Mercredi 3 Octobre 2012

Dans les premiers mois de la mandature du CESER débutée en décembre 2010, sa Commission "Education et Formation Professionnelle" s’est autosaisie de deux thèmes dont celui de l’Education populaire. L'objectif était de s’interroger sur l’opportunité de la remettre à l’honneur comme outil pour lutter efficacement contre le délitement apparent du lien social dans notre société réunionnaise.


Education populaire : le secteur associatif continue à subir de lourdes pertes
L’audition de personnes au fait des réalités portées par les courants d’éducation populaire dans les soixante dernières années à la Réunion a convaincu la Commission de poursuivre sa réflexion. Entre-temps, le CCEE a annoncé la tenue d’un colloque consacré à l’ Education populaire au début du mois d’octobre 2012.

Encouragée par cet intérêt commun, la Commission souhaite :

- apporter une première contribution avec cette note de circonstance ;

- élargir son champ de vision en inscrivant sa réflexion dans la démarche de l’"Année européenne des citoyens" de 2013.

La Commission pressent que la démarche de l’"Année européenne des citoyens" contient les éléments d’une forte interpellation. Déjà la programmation de la Commission européenne a suscité des réactions. Certains mettent en garde contre une approche de la citoyenneté qui se limiterait à affirmer les droits individuels. Ils préconisent une base beaucoup plus large pour asseoir la citoyenneté sur la participation des citoyens à la vie dans l’espace qui leur est commun.

En s’inspirant de cette démarche, la Commission veut aller vers la publication d’un avis du CESER sur la prise en charge par les populations réunionnaises des territoires qu’elles habitent et qu’elles font vivre. A quel développement sociétal les destinent-elles ? Au service de quelle qualité de vivre ensemble ?

Rappelons que l'Education populaire est, en reprenant les termes de Mario Serviable1 au cours de son audition par la commission : "Une invention française, une spécificité française qui est considérée comme la deuxième école de la République. C'est une école sans maître, sans programme, reposant sur la mutualisation des savoirs. On part du principe que chacun sur terre peut apprendre quelque chose à quelqu'un.

A tout moment, chacun peut apprendre et aussi être apprenant dans sa relation à l'autre. Si la première école de la République apprend à lire, à écrire, à compter, la deuxième école de la République apprend "à lire la réalité du monde, à écrire le vivre ensemble et à compter sur l’autre. C’est une école non sanctuarisée, ouverte au monde, et ouverte aussi sur le monde".

Cette note est un point d'étape de la réflexion de la Commission pour décliner trois éléments qui lui paraissent majeurs :

- S’intéresser à l’Education populaire comme à un processus – ou "manière de faire" - et non à un contenu, pour que sa définition puisse transcender la réalité - ou "contexte"  - dans laquelle elle s’exerce.

- Etablir le diagnostic des facteurs qui freinent ou empêchent la mise en œuvre aujourd’hui de son processus dans notre société réunionnaise.

- Considérer les populations auxquelles ce service n’est pas rendu, les laissant à elles-mêmes dans bien des difficultés, au lieu de les faire participer au renforcement de la cohésion sociale de notre territoire.


L’éducation populaire, un processus de développement personnel et collectif

Les membres de la Commission "Education et Formation professionnelle" ont d’abord rencontré la difficulté de cerner le sujet de l’Education populaire. Pour les uns, il évoquait le souvenir des grandes actions des années 1960 et 1970 à La Réunion dans le domaine de l’animation culturelle et sportive. Pour d’autres, plus étrangers à ce type d’activité, il ne disait tout simplement rien, ou pas grand-chose. Dans un cas comme dans l’autre, la notion d’Education Populaire apparaissait comme vieillie et vieillotte.

A ce premier constat s’en ajoutait rapidement un second. La recherche d’une définition de l’Education populaire est difficile parce que sa réalité n’est percevable que dans sa manière de s’inscrire dans un contexte social particulier. Il s’agit donc moins de cerner un contenu que de s’intéresser à une manière de procéder, et à la reconnaître à l’œuvre dans des contextes très différents les uns des autres.

En nous fixant cette démarche, chaque membre de la Commission pouvait trouver un point d’accès au thème de l’Education populaire, qu’il soit dans une activité proche des domaines de la culture, du sport ou du social, ou qu’il soit au contraire assez éloigné de ceux-ci, par exemple par une implication plus forte dans les domaines de l’économie et de la formation.

Pour tous, l’Education populaire renvoie à une vision globale de la société, c’est-à-dire à une articulation de toutes ses composantes autour d’un projet défini et daté. Le modèle des années 1960 et 1970 qui imprègne encore nos mémoires répond à cette exigence. Il en est la réalisation à un moment précis de l’histoire sociale de l’île car il témoigne d’une forte cohérence du système de société de l’époque.

Mais il ne nous fournit pas des éléments à simplement transcrire dans la situation actuelle de notre société. Il atteste une performance dont il nous faut rechercher le processus de production : comment a-t-il été possible d’en arriver là ? Comment, à un contexte donné et daté, s’est appliqué avec succès une manière de procéder capable d’articuler l’ensemble du social ?

L’Education populaire est donc à aborder sous l’angle d’un processus. Et une méthodologie est à mettre en place pour l’étudier. Deux outils sont nécessaires à cette étude :

- la déclinaison des points d’observation à privilégier dans l’approche d’une situation d’Education Populaire ;

- et la déclinaison des critères de validation de la présence d’un processus d’Education Populaire dans la situation observée.

Les points d’observation sont à rechercher principalement en fonction de la notion de parcours de vie. L’image que cette notion véhicule est celle de trajectoire, d’un départ à une arrivée, avec un nombre plus ou moins important d’étapes et de paliers à franchir. Par exemple, pour une application au secteur professionnel, la priorité doit aller à une trajectoire de formation et d’emploi(s) qui exclut le sur-place.

L’observation aura donc à vérifier que sur une durée d’emploi même relativement courte, la personne mise au travail a pu disposer, le temps de son embauche, des moyens d’une progression personnelle, par exemple en termes d’employabilité. C’est au regard d’un tel constat que pourra être validée la mise en œuvre d’un processus d’Education populaire.


Cette exemple est à étendre à tous les secteurs de l’existence personnelle et collective. Dès l’instant où l’un de ces secteurs entre dans le champ de l’Education populaire, les conditions doivent être réunies de le soumettre au même type d’analyse que précédemment. Celle-ci cherchera à vérifier que l’action menée répond aux caractéristiques du processus d’Education populaire pour en produire les fruits. Si ce n’est pas le cas, il convient de s’interroger sur les freins susceptibles de ralentir ce processus, quand ce n’est pas de l’empêcher plus radicalement d’exister, ou encore de provoquer son arrêt brutal.

Le diagnostic des facteurs freins au processus d’Education populaire

Définie comme processus, l’Education populaire est observée à travers ses réalisations historiques. Elle est en interaction directe avec l’actualité du contexte qui la favorise ou non. Pour apprécier la tendance qui lui est plus ou moins favorable dans un contexte bien précis, il convient de mener une évaluation du soutien que les politiques publiques apportent à la pérennisation de l’Education populaire.

Sur les dernières décennies, force est de constater que le secteur associatif qui se réclame de l’Education populaire continue à subir de lourdes pertes, au point de se demander s’il comportera encore quelques acteurs demain. L’urgence d’une alerte collective sur le sujet est extrême avec la liquidation judiciaire en septembre 2012 des Francas. Cette association est emblématique de l’introduction et du développement de l’Education populaire à la Réunion. Sa disparition ne devrait-elle pas sonner le glas d’une mobilisation générale ?

Puisque l’établissement d’un diagnostic convoque l’histoire, il conviendrait de revisiter également l’incidence des lois sur la formation professionnelle à partir des années 1970. Le contexte économique de l’emploi allant de plus en plus en se dégradant, la tendance des financeurs publics a été de privilégier les actions d’insertion sociale et professionnelle pour un retour à l’emploi du plus grand nombre. C’est ainsi qu’un certain nombre d’associations investies dans le secteur de l’Education populaire ont été amenées à évoluer en organismes de formation. Dans le même temps allait se creuser, pour beaucoup de publics, la perte du savoir-être, y compris dans le milieu de l’entreprise.

Plus récemment, d’autres mesures législatives n’ont pas été suivies de tous les effets espérés : lois relatives aux droits inaliénables tels que le droit au logement et le droit à la formation tout au long de la vie.

Enfin, d’autres freins existent qui relèvent davantage de l’exercice de la responsabilité politique. Quelle évaluation pouvons-nous faire, par exemple, de la relation de partenariat entre tous les acteurs, publics et privés, et les associations, en particulier entre les collectivités territoriales et les associations dédiées à l’Education populaire ?

Finalement, tous ces écueils ne sont-ils pas évitables, dans un grand nombre de situations, dès l’instant où un accord se dégage sur un état des lieux des populations qui habitent et vivent sur notre territoire insulaire ?

Les populations à dynamiser par une Education populaire renouvelée

C’est le courage de dire les choses, et de les dire à l’unisson. Cela commence par un constat partagé qui permet de s’interroger ensemble sur les plus grandes carences sociales qui hypothèquent la capacité d’un grand nombre de nos concitoyens à se prendre davantage en mains. La responsabilité appelle à son tour l’exercice du respect et de la solidarité.

In fine, c’est bien au Politique d’énoncer une vision de notre devenir commun, à l’intérieur d’un projet de société, situé et daté, autour duquel les volontés personnelles et collectives sont invitées à se fédérer. Dans ces conditions, l’Education populaire retrouve toute sa place de ferment et d’accompagnement de la démocratie participative.

Gardons-nous cependant d’un discours sur l’état des lieux trop pessimiste ou négatif.

Un simple changement de point de vue peut en effet être riche d’enseignement, et nous révéler que les valeurs traditionnelles de l’Education populaire ne sont pas aussi absentes des relations sociales actuelles qu’on veut bien le dire. Une plongée dans les quartiers de l’île permet ainsi d’observer les prises en charge, les services, les attentions mutuelles qui ne cessent d’innerver le tissu social.

Beaucoup de ces comportements relèvent du bénévolat, c’est-à-dire de ce qu’une personne donne d’elle-même et volontairement pour construire et développer le vivre ensemble. L’observation se situe alors à l’échelle d’un réseau familial ou d’un réseau de proximité. Elle croise les interactions en interne à chaque groupe – familial et de quartier - et en externe dès lors que chacun de ces groupes est connecté à d’autres. A cette échelle micro sociale, force est de constater que l’individualisme n’est pas roi, et que le collectif a du sens.

Mais nous pouvons faire l’hypothèse que l’expression des valeurs ainsi vécues ne remonte pas jusqu’au macro social. La force de cohésion de ces solidarités de proximité est comme aveugle à l’observateur de la société globale. Or, c’est au projet associatif qu’il incombe justement de faire le lien entre l’activité de terrain et la responsabilité de l’ensemble de la société.

Le temps n’est pas si loin où le milieu associatif a contribué à l’émergence de beaucoup de personnalités politiques de la Réunion. C’est le caractère propre de l’association d’être un « corps intermédiaire » entre l’individu et la Collectivité, de telle sorte qu’en son sein, tout un chacun puisse se préparer à exercer des responsabilités aux différents niveaux qui constituent la société dans son entier. L’Education populaire est donc inséparable du projet démocratique et de l’exercice de la citoyenneté auquel elle initie le plus grand nombre.

Ceser



      Partager Partager

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter


Dans la même rubrique :
< >

Vendredi 17 Juin 2022 - 11:41 Jean Jacques MOREL aime son Pays

Vendredi 3 Juin 2022 - 08:56 Jean Jacques MOREL