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Crise requin


Citoyen
Jeudi 23 Avril 2015

Ne pourrait-on pas, enfin, associer la totalité des acteurs de la crise aux processus de décision ?
La mort atroce d'Elio Canestri est venue actualiser les clivages qui divisent la société réunionnaise dans son rapport avec l'océan dont nous sommes entourés. Ce drame, que certains redoutaient et que d'autres prédisaient, réveille à nouveau toutes sortes de discordances et d'oppositions, qu'elles soient légitimes ou non, que l'étude sociale menée par la DEAL l'an dernier avait déjà mises en évidence.


Depuis maintenant presque quinze jours, la lecture des courriers de lecteurs et l'écoute des radios esquissent un inventaire déprimant, dont il n'est pas nécessaire d'aller chercher l'exhaustivité. Les généralisations abusives auxquelles il conduit détériorent un peu plus l'image de La Réunion que nous présentons au monde. En substance : tradition réunionnaise terrienne opposée aux pratiques nautiques et balnéaires plus récentes. Créoles réglant leurs comptes avec les zoreys et réciproquement. Une partie de la population du littoral ouest dressée farouchement contre les dispositions arrêtées par les autorités. Recherche, méthodes et conclusions scientifiques dénoncées au profit des connaissances populaires et des pratiques de pêche usuelles. Problèmes ardus des rapports de l'Homme avec son environnement : confrontation tendue entre associations citoyennes d'usagers et mouvement écologique, trop simplement résumée dans la pêche ou non des bouledogues invasifs. Et à l'arrière plan, les clivages politiques d'où émane la suspicion relative aux embuscades qui se préparent...

Vu sous cet angle, l'attrait de l'île, touristique et humain, n'est guère probant.

Dans ce contexte conflictuel, l'Etat et ses services sont interpellés sans ménagement. On leur reproche de dissimuler leur indifférence et leur inaction derrière les arrêtés de réglementation, ce qui est à la fois profondément erroné et injuste. Les collectivités territoriales, elles aussi, paraissant agir chacune pour son compte, offrent surtout le spectacle de leur impuissance. La gestion institutionnelle, qui semble manquer à la fois de coordination et de cohérence, n'est décidément pas en mesure de rassurer.

Outre l'embryon du dispositif de vigies immergées et la pose périodique de filets tout aussi périodiquement détériorés par la houle, la gestion opérationnelle s'appuie essentiellement sur un système de pêche par drumline, qui, en dépit de tous les investissements humains et financiers, ne semble pas suffisamment sécurisant ni efficace. Et en aucun cas consensuel.

Le terrain médiatique, tributaire des deux registres précédents, se trouve de ce fait abandonné à qui voudra bien s'en emparer. Comme on peut s'y attendre, il est investi de toutes les subjectivités, de toutes les émotions, de tous les soupçons, des ressentis qui tiennent lieu de connaissance, des ignorances manifestes et des interprétations hasardeuses. Cet amoncellement d'opinions et de convictions reflète certainement le désir estimable de comprendre, d'intervenir, de contribuer. Il est sans doute modelé également par le besoin de se libérer du poids des préoccupations entraînées par la recrudescence de cette crise interminable et l'angoisse de la mort d'un enfant magnifique qu'elle vient d'entraîner.

Alors que La Réunion entière en subit les contrecoups, y compris l'immense majorité des Réunionnais qui n'est pas directement impliquée dans la crise ou même dans des activités nautiques, on ne peut pas considérer normal que les communautés concernées demeurent clivées et fragmentées en autant d'intérêts catégoriels. On ne peut pas considérer normal que l'intelligence sociale et la sensibilité de la population n'aient d'autres lieux pour s'exprimer que la
rue ou les médias. Ni que ces lieux ne puissent servir pour l'essentiel que d'exutoires, qu'à revendiquer, voire s'invectiver et se déchirer. On ne peut pas considérer normal de ne pas disposer d'espaces de discussions, de débats collectifs, de réflexions partagées, de constructions en commun de l'avenir du littoral.

On doit dénoncer comme une anomalie consternante cette atrophie de la conscience de l'intérêt, mutuel et général, que tous les acteurs sociaux devraient avoir à rechercher, socle substantiel de l'élaboration des dispositions qui seules contribueront véritablement au dépassement de la situation.

Dans le cadre de l'enquête sociale menée l'an dernier, les expériences effectuées au cours de 12 séances d'ateliers participatifs ont illustré de façon éloquente la capacité des acteurs que tout opposait, à s'abstenir de tentations dogmatiques et de condamnations péremptoires. Les ateliers ont permis la rencontre de responsables, participants impliqués en quête d'une compréhension lucide de positions réputées antagonistes. Et, ainsi que l'expérience l'a constamment établi, ils les ont explicitement engagés à s'orienter vers des possibilités de convergence, au travers de la maturation progressive de débats organisés, auxquels chacune et chacun prenait une part active. Les fruits prometteurs qu'ils ont fait mûrir n'ont cependant pas été recueillis. Le projet d'une poursuite de ces travaux dans le cadre d'un indispensable forum permanent a été très vite oublié.

La puissance publique pourrait aller au-delà des stratégies coutumières de consultations successives et fragmentées de groupes ou d'individus, en considérant avec lucidité que chaque fois qu'elle présume en fin de compte être la seule en mesure de fixer les règles et d'arrêter les dispositions appropriées, elle ne fait qu'amenuiser l'action et la responsabilité des citoyens. Elle finit souvent par le payer. Croyant obstinément établir son autorité, elle s'expose sommairement à conduire des stratégies de bout de ficelle insuffisamment informées et à prendre des décisions simplement sous la pression populaire contingente... dans l’inconscience de leurs conséquences possibles. Cette position, comme on l'observe tristement ces derniers jours, entraîne ainsi la justification croissante des frustrations et des revendications qu'elles déclenchent.

Pour reconstruire une existence collective sur le littoral et en faveur de toute la Réunion, les communautés doivent se rencontrer et travailler ensemble. Quelles qu'elles soient et quelles que soient leurs positions initiales. Leurs chefs de file concernés, au moins, ou leurs porte-parole, ont le devoir de s'engager dans une confrontation et une collaboration à long terme. La règle absolue est celle de l'écoute et du respect réciproque. Il faut y ajouter la certitude que tous les intervenants et participants sont habités d'une exigence et du sentiment d'une responsabilité morales et intellectuelles de Très Haut Niveau. À l'égal de celles des sports de compétition qu'ils promeuvent. De cet engagement commun et continu peuvent naître, pour donner une issue à la crise, de solides dispositions, étayées par l'ensemble des communautés concernées, et de ce fait créatrices probables d'un surcroît de sécurité et d'efficacité.

Le temps nécessaire consacré à ces travaux collectifs, ajouté à la conscience du plus haut intérêt commun partagé, ainsi qu'à une organisation judicieuse, est le garant de la transformation graduelle des opinions et des positions. À mesure que s'estompent les clivages et que les obstacles se lèvent, le rôle actif essentiel des citoyens et le statut de leurs autorités se précisent. Il faut espérer que les pouvoirs responsables, en charge de la résolution de la crise requin, auront l'envie de s'interroger sur le caractère approprié de cette approche collective novatrice de la situation qui hante La Réunion depuis bientôt cinq années.

Au cœur de ces convulsions sociales qui semblent s'intensifier, il paraît décidément déraisonnable de maintenir avec obstination le préjugé selon lequel, de toute façon à la fin, ce sont toujours les conflits et les interdictions qui devraient triompher.

Psychosociologue 22 avril 2015

Arnold Jaccoud



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Les commentaires

1.Posté par Bayoune le 23/04/2015 08:07
" les murs ont des zorèys, les zorèys ont des murs" zorèys èk grinn bibass dann zot zorèys. ils envahissent la colonie et veulent comme sur terre imposer leur volonté partout où ils dominent, mais dans la mer, leur loi de dominssiyon s’oppose à celle des requins qui sont là avant eux, et contrairement aux réunionnais dominés, lobotomisés, d'alcool de TV de RSA - les requins patriotes résistent fièrement à l’envahisseur, tandis que les réunionnais sont privés et interdits de l'océan, de leur kary de poisson qui accommodait bien leur misérable ordinaire de chômeurs, refoulés dans les hauts pour laisser la place à l'occupant. St Gilles est devenu Sinzil/''and ce que refusent les requins patriotes!!!

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